Je me rends compte à quel point la démarche d’aller à Londres ou à Amsterdam était facile. Je reviens du bout du monde. Les gens se prennent pour des globe-trotters en allant au Mexique ou en Argentine ; quelle clique de petits bras. Je reviens du vrai bout du monde, je reviens d’Esbjerg. C’est bien simple, trois heures de train et les gares défilent, des noms tous plus incompréhensibles les uns que les autres, des villes qui deviennent de plus en plus industrielles, des putains de friches, des putains de cheminées d’usines qui montent jusqu’au ciel et crachouillent des fumées dantesques. Et soudain t’arrives, tu descends, les rues sont vides, les gens n’existent pas, les maisons sont en carton-pâte, grosse ambiance The Truman Show, et au bout du bout de cette ville-région laissée pour morte depuis des décennies, Saint George Kollegiet.
Et je le dis fallait se battre avec des bûcherons du Jutland dans des pubs payants avec nous, fallait lancer des punchlines et des bruits d’animaux à la Seth Gueko dans le pire kebab du centre-ville, fallait s’écrouler sur le trottoir et se faire remettre en place par des Danois qui nous disent qu’on ne fait pas ça au Danemark, et qui en passant ont eu l’échappée belle. Fallait remettre le couvert le lendemain dès 22h bières vins et whisky dans les pupilles avant de les avoir calés dans le foie le crâne et les étoiles qui tourbillonnent sinistrement dans le ciel d’Esbjerg. Enquiller, renquiller, faire défiler les teilles de Tuborg, se foutre à poil, descendre des shots d’un aquavit maronnasse, sortir du Friday Bar juste pour aller vomir, repartir de plus belle, se déhancher sur du Plastic Bertrand jusqu’à ramasser ses os sur le dancefloor, être encore là à quatre heures quand les derniers allaient se coucher prouvant leur petitesse, remettre le couvert face à la tournée du patron, repartir en mer sur Plastic Bertrand, ne pas faiblir face à la teille d’absinthe que le patron ne sort que pour les grandes occasions, que pour les grands clients, que pour les Grands tout court. Finir par complètement oublier le temps et l’espace, n’être plus là que pour boire, pour boire pour boire, comme seule raison de l’existence, comme réponse à tous les mots, à tous les maux mais aussi à tous les plaisirs ; boire comme réponse à tout.
Et puis on a fini par sortir de ce bar où je suis devenu un homme, s’en extirper, sortir à 10h du matin, les yeux niqués par le soleil alors que les mioches avaient déjà les yeux niqués devant leurs dessins-animés matinaux merdiques. Sortir en plein jour, passer d’une seconde à l’autre de la nuit au jour, subir ce moment comme une dernière brutalité douce. Enfin, se réveiller à 17h, alors qu’il fait déjà nuit, le temps d’aller acheter l’alcool de la soirée suivante avant que le Netto ferme, traîner au gala de l’université du coin et effaroucher les Danoises sapins de Noël endimanchées chez Kiabi pour l’occasion historique. Foutre un grand coup de tempête dans cette ville qui dort et qui travaille, et puis s’arrêter parce que tout s’arrête. Le temps de marcher dans les champs boueux sous le ciel orange et les corbeaux qui se baladent en bande de milliers de volatiles pour choper un train et rentrer à Roskilde en souffrant le martyre pendant les trois heures de trajet à cause de la quantité d’alcool ingurgitée en trois soirs fortement disproportionnée par rapport aux deux Mac Do qui ont constitué mes seuls repas du week-end. J’ai entendu « bon tu reviendras » mais je sais pas si ce genre de trucs se fait deux fois, je me demande encore parfois si je l’ai vraiment vécu une fois.
3 commentaires:
Mec t'es en train de prendre de l'avance vener sur saint cast la!
Heureux que d'avoir un alcool euphorique et des cuites existentielles.
tendresse
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